BRISBANE - 8 ans
Un. Deux. Trois. Quatre… Tout en marchant, je comptais. J’aimais bien compter. J’aimais bien les calculs et j’aimais beaucoup écrire. J’avais parfaitement conscience qu’on me suivait du regard. Mal à l’aise, je me remis à compter. Personne ne voyait que j’étais mal à l’aise. Malgré mes 8 ans, j’étais déjà douée pour jouer la comédie. Je pouvais jouer la comédie à qui je voulais : ma maman et mon papa, mon instituteur,…Tout le monde n’y voyait rien. Bien sûr, je ne le faisais pas toujours, cela se remarquerait à force. Mes parents, ils ont une grande villa à la sortie de la ville. Ma chambre est immense d’ailleurs. Ma maman, elle passe son temps dans la ‘pièce à fleurs’. Elle y reste parfois des journées entières sans y sortir sauf pour manger le repas. Quant à mon père, je ne le voyais guère. Ma maman me disait qu’il partait souvent dans un avion. Elle me citait des noms de villes que je m’amusai à situer sur une carte du monde. Tout ce que je savais vraiment de son métier, c’est que ça faisait gagner beaucoup de billets. Ma maman, elle est très contente de moi. Les rares fois où elle me parle, c’est pour me demander combien j’ai eu à mes contrôles et si j’ai beaucoup d’amis, c’est tout. J’ai de bonnes notes et j’ai beaucoup d’amis. Je lui dis ça et hop, elle retourne dans sa pièce, le sourire aux lèvres. Mes points, c’est ma nounou qui les signe. Nounou Judie, elle est gentille. Elle joue souvent avec moi une fois que mes devoirs sont terminés. Je la considère comme ma deuxième maman mais ça, personne ne le sait. Dans la cour de récréation, les enfants y jouaient en groupe. Chacun jouait avec ceux qu’il aimait. Moi, j’avais des amis. Nounou Judie m’avait ouvert les yeux sur mes amis. Ils voulaient juste être mes amis parce que papa est riche et qu’il a un gros gros travail. En fait, ils ne sont pas vraiment mes amis. En ce moment même, j’ai deux garçons qui me suivent. Ils sont comme Snoopy. Snoopy, c’est mon chien. Il me suit partout où je vais. Ben, les deux garçons, c’est comme mon chien. Sauf que mon chien, il me suit parce qu’il m’aime vraiment et qu’il veille sur moi. Bon d’accord, les garçons, ils bavent pas comme Snoopy mais je m’en fiche. Je regarde de gauche à droite à la recherche d’un banc pour m’assoir. J’aime bien marcher mais mes pieds me font mal et ce, à cause de ces nouvelles chaussures. Je remarquai un banc sur ma droite. Quelqu’un y était déjà assis. Je savais qui était ce garçon. Il était un peu comme moi. Une ‘célébrité’ si je puis dire. Enfin, en plus…méchant sans doute. Une fois arrivée à sa hauteur, je lui demandais si je pouvais m’assoir. Le garçon me regarda sans rien dire durant quelques instants puis se leva. Je le suivais du regard. Il jeta quelque chose à la poubelle puis se retourna. Ses yeux se posèrent directement sur le banc. Un des deux garçons qui m’avaient suivi s’était assis sur le banc. Je ne disais rien, j’écoutais, juste le garçon comme moi s’énervait. Il s’énervait tellement qu’il finit par se battre avec l’un de mes poursuivants. Je ne pris même pas la peine d’appeler un instituteur, ils furent là très vite. Les séparant, ils forcèrent les deux garçons à s’excuser. L’histoire fut réglée en quelques secondes et je fus débarrassée de mes deux faux chiens. Un long silence s'en suivit et puis... «
Moi, c'est Noah.» Je lui fis un grand sourire. «
Micah.»
BRISBANE - 16 ans
Tout change dans ce monde. Les pires choses comme les meilleures. On s’accroche à quelque chose, à quelqu’un en pensant que tout restera toujours pareil et, au final, on se trompe. Je me suis trompée. De nombreuses fois, sur de nombreuses choses. Une en particulier. J’ai grandi comme n’importe quelle fille si on oublie le côté riche de ma vie. Durant plusieurs années, j’avais Noah. Je n’avais plus besoin de personne d’autre, il était là. Lui. Noah, toujours là, toujours fourré avec moi. On nous disait inséparables. Les gens ont eu tort, mais ça, je ne l’ai su que bien après. Noah passait énormément de temps chez moi après l’école. On faisait nos devoirs ensemble. Au début, les instituteurs avaient trouvé cela étrange qu’un garçon comme Noah puisse m’avoir comme amie. Je l’aimais bien moi Noah. On s’amusait bien. Il nous suffisait d’un regard pour se comprendre. Parfois, on n’avait même pas besoin de parler pour savoir à quoi on pensait. A la fois si différents et si semblables en même temps…C’était très rare qu’il passe par la porte pour venir chez moi. Près de l’unique fenêtre de ma chambre, il y avait un arbre, un chêne. Et c’est grâce à ce chêne que Noah entrait chez moi, dans ma chambre, dans mon univers. Il venait souvent avec sa guitare à la main. Il s’asseyait sur mon lit et se mettait à fredonner une chanson avant de s’allumer une clope. A force de respirer l’odeur de cigarette, je me suis mise à fumer également. Ma chambre sentait jour et nuit mais mes parents ne le savaient même pas. Ils ne venaient jamais. Le comique dans toute cette histoire, c’est que pratiquement tout le monde pensait qu’on était en couple. Même nos parents. Je m’en fichai assez, je contredisais les gens, leur disant que nous n’étions que des amis, tant pis si on ne me croyait pas. Je n’ai jamais accordé beaucoup d’importance à ce que l’on pensait de moi. Je m’aime comme je suis, même si cela ne plait pas aux autres. J’ai toujours cru qu’il en était de même pour Noah. Je me trompais.
Encore une fois… C’est arrivé sans que je ne m’en rende compte tout de suite. Noah venait toujours chez moi mais il restait moins longtemps, plus il n’est plus venu. Les autres sorties qu’on se faisait en dehors de nos « chez-nous », il n’y venait plus. De moins en moins d’sms pour en arriver à ce qu’il ne me réponde même plus. A l’école, il m’évitait. Du moins, j’en avais l’impression. Je ne comprenais nullement la raison de son comportement. J’avais peur d’avoir fait quelque chose de mal mais je ne voyais pas quoi. Un soir, en me promenant dans les rues, je l’ai vu au loin, accompagné de 2 personnes. Ce soir-là, j’ai mis un terme à nos 8 ans d’amitié. J’ai fais comme s’il n’existait plus. A l’extérieur, je donnais l’image d’une fille forte, sans problème mais chez moi, dans ma chambre, j’étais seule. Plus personne avec qui parler de tout et de rien. Personne avec qui écouter de la musique, allongée sur mon lit, la clope en bouche. Non personne.
Seule. Plus les jours passaient, plus j’avais l’impression qu’une partie de moi disparaissait.BRISBANE - 18 ans
Le passé c’est le passé. Tout change. Rien n’est plus comme avant. Plus rien et ça me tue. Allongée sur un transat dans mon jardin, les yeux fermés, je ne fais rien. Il y a longtemps que je ne fais plus rien. Ma vie est terne, monotone. L’école c’est fini. Maintenant, c’est la fac. J’ai refusé de choisir une fac en Australie. J’ai décidé d’aller aux Etats-Unis. Loin d’ici, loin de tout. Loin de
lui. J’étais en quelque sorte devenue amorphe. Mes parents, malgré leurs absences répétées, l’ont vite remarqué. Elwyn, ma petite sœur, l’a tout de suite vu. Elle qui voyait souvent Noah à la maison, ne plus le voir lui a vite mis la puce à l’oreille. Tentant de profiter des rayons du soleil le mieux possible, j’entendis Elwyn s’assoir sur la chaise à mes côtés. «
Tu ne peux pas rester comme ça Micah ! Sors, essaye de voir d’autres personnes, je sais pas moi ! » Je poussai un profond soupir. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait rien, comme tout le monde. «
Je ne sais pas faire autre chose. Et je ne veux sortir avec personne d’autre. De toute façon, je me casse bientôt d’ici ! » Ma sœur n’était pas trop heureuse que je quitte l’Australie pour les USA. Nous avions toujours eu une relation fusionnelle. Mais maintenant, je m’éloignais d’elle. Et tout ça à cause d’un con. Un parfait petit con. Un salaud. «
Laisse-moi venir avec toi Mi’, s’il te plait ! » Je n’aimais pas quand elle employait ce ton suppliant. A chaque fois, je me laissais avoir. Et cette fois-ci encore, ce fut le cas.
GRANT PASS - 23 ans
Dans quelques jours, ça fera bientôt 5 ans que je suis arrivée aux Etats-Unis et un an que je vis à Grant Pass. Mon arrivée aux Etats-Unis ne fut pas trop compliquée : je m’étais inscrite dans une école afin de suivre des études pour devenir infirmière. La vue du sang ne m’a jamais posée de problème. De plus, j’avais toujours été fascinée par ce métier. Aider les gens, les rassurer, leur prodiguer des soins,… Durant mes études, Elwyn était à mes côtés. On partageait le même petit appartement et le loyer était payé grâce à l’argent que nous envoyaient nos parents. Les études terminées, je postulai un peu partout dans les hôpitaux de la région. Je finis par trouver une place à Grant Pass. Encore une fois, ma sœur me suivit. On s’est très vite habituée à la vie à Grant Pass. J’aimerai dire que je suis complètement heureuse, mais ce n’est pas le cas. Ce trou dans ma poitrine est toujours là, bien présent. Je ne désespère pas qu’un jour, il disparaisse à jamais.