La vie c'est un peu comme une blague carambar, c'est pas drôle. Enfin, tout dépend de la personne en question. Kalenh Fitch-Clarke, est né pour résumer le vingt-huit septembre mille-neuf cent quatre vingt trois à Grant Pass. Un beau cadeau pour ses parents (oupas). Je vais faire court, parce qu'une naissance, n'est qu'une naissance après tout, que dire de plus? Kalenh a toujours été choyé dans son enfance, et encore aujourd'hui. C'est un peu l'enfant roi et parfait. Enfin, du moins c'est ce qu'il laisse paraître.

« Madame Fitch-Clarke, c’est avec plaisir que je vous annonce que vous allez être maman d’une petite fille. » Voilà ce qu’annonça le docteur attitré depuis des années de la famille Fitch-Clarke. Mais aussi une belle erreur. En effet, les Fitch-Clarke étant très religieux, au point de vouloir des tas et des tas d'enfants. Seulement Madame voulait une fille et Monsieur un garçon. Pour cette écographie, Lizbeth n’était pas accompagné de son mari, occupé par une réunion d’affaire dans l'entreprise familiale. Oui la famille des Fitch-Clarke remonte à bien des années et fait partie du gratin. Une fois raccompagnée par son chauffeur, Lizbeth retrouva son mari dans le séjour. « William, c’est une fille! » s’écria Lizbeth, enjouée. C’était une belle femme, blonde, elle avait toujours aimé la vie, voire un peu trop pour sa condition, trop libertine aux goûts de ses parents et de son mari. Son mari lui lança un regard froid et ne disait pas un seul mot. Lui aussi était bel homme mais avait un côté très guindé. « Tu es fatigué, on en parlera demain Will. » demanda naïvement Lizbeth. « Ne m’appelle pas de cette manière, on est plus des adolescents. » Depuis qu’il avait pris ses nouvelles responsabilités il était devenu différent, enfin, pour sa femme. « Tu voulais un garçon, n'est ce pas? » Lizbeth baissa la tête déçue que son mari n’accepte pas cette grossesse. « Exact, un héritier, mais t'es pas capable de nous en fournir un. Une fille.. » Lizbeth fut atrocement humiliée de savoir que son mari jugeait ses propres enfants et de cette preuve de sexisme évident. « Pourquoi n’en serait-elle pas capable ? » demanda t-elle à William. « Elle ferait quoi de plus que toi, à rester à la maison. Un homme ça travaille au moins. » Lizbeth enchaîna, horriblement déçue et vexée. « On pourrait l'apeller... » William serra le poing pour se contenir et pris sa femme par les épaules. « Lizbeth, on ne l’appellera pas par un nom fantaisiste, l’adolescence c’est fini. Il s’appellera Kal comme son grand-père. » Lizbeth ne broncha pas, elle n’avait plus aucun pouvoir auprès de son mari. « Kalenh » Trois mois de grossesse et elle se sentait déjà coupable, c'était comme si elle détestait l'arrivée de son enfant, avant même sa naissance, de peur qu'il prenne trop de place. Six mois plus tard le vingt-huit septembre, la petite tête aux yeux verts nommé Kalenh pointait le bout de son nez, dans la demeure familiale, au plus grand étonnement de tous. Avec un mauvais diagnostic, William changea radicalement de bord. Sans pour autant se rapprocher de sa femme, mais plutôt en s'accaparant dès la naissance l'enfant à qui elle avait tout juste donné la vie.

Kalenh a toujours vécu dans l'ombre de son père tout comme sa mère, à recevoir sans arrêt des reproches de sa part. Il ne pouvait pas protester. Il a fréquenté les meilleures écoles, les plus chères. Son père ne vivait que pour l’argent, et avait déjà promulgué son fils comme l’enfant prodige, l’enfant roi. Il a reçu toute cette culture d'un monde ou l'argent et la société vont de paire pour les affaires, une vie très superficielle sous tous les angles. Il n’a jamais dit non, car il savait éperdument que son père était persuadé de faire de son fils un politicien ou un brillant avocat. Mais c'était pas vraiment le cas du garçon. Il avait la fibre plutôt artistique, même pour son âge, mais ça, c'était resté en second plan, plutôt invisible. Son père l'a formaté pour être charismatique, voire arrogant, bien que charmant lorsqu’il n’était pas sous les projecteurs. Il est devenu la coqueluche de la famille, ou de son père. Au lycée, il aurait pu être le genre de garçon qu'on idôlatre, qu'on aime, populaire. Il avait ce qu'il fallait pour plaire. Issu de bonne famille, souriant, sympathique, physique pas trop ingrat. Mais pas le genre de famille très appréciée. On a trop souvent associé le nom des Fitch-Clarke à une famille de snob égoïstes. Bon élève, il emmerdait implicitement ses camarade. Fitch-Clarke par ici, Fitch-Clarke par là, il était destiné à être en haut de l'échelle et faire une grande carrière. Il avait toutes les voies ouvertes, mais pas nécessairement celles qu'il désirait. Après avoir décroché son diplôme et fait quelques années d'études supérieures, les Fitch-Clarke ont quitté la ville, pour San-Fransisco, pour les affaires de son père et terminer ses études. Mais toutes les bonnes choses ont une fin.

« Papa, il faut que je te parle. » Habillé d'un costume très élégant, Kalenh travaillait depuis maintenant une année dans l'entreprise de son père. Il avait suivit cette voie diabolique, tandis que sa conscience lui criait de faire demi-tour. Et ce jour était enfin là. « Je démissionne. » Voilà, il avait craché le morceau, il n'avait pas pris quatre chemins différents et avait été très direct, voire un peu trop. « Comment ça tu quittes l'entreprise ? Tu as meilleure offre ? Je peux t'augmenter si tu n'es pas satisfait. » De l'argent, toujours de l'argent. Son père l'avait acheté toute sa jeunesse et il continuait. S'il ne s'en détachait pas, il aurait déjà la bague au doigt et un enfant au bout du fil. « J'ai pas envie d'être acheté avec un salaire. J'ai jamais voulu travailler avec toi, ni quitter Grant Pass. C'est pour cela que j'y retourne. » Son père s'esclaffa. Un rire lourd, moqueur, mais nerveux. « Grant Pass ? tu te fiches de moi. C'est une misérable campagne. Arrête de dire des bêtises comme ta mère. » Il parlait de sa femme comme d'une incapable, bien qu'il considérait la plupart de son entourage comme des incapables. Sa mère vivait encore dans un silence et une souffrance profonde, que son mari ne voulait pas admettre. « T'es complètement con. T’es même pas capable de voir que maman est à moitié en train de se noyer dans ses souvenirs, et dans un mariage totalement bidon. T'es même pas fichu de me retenir. » Et là..c'est plus ou moins le drame la rupture. Son père fronça les sourcils et devint rêche. « Dégage. Ne remet plus jamais les pieds ici. Tu peux partir, ne compte pas sur mon aide financière. » Après avoir fait ses adieux à sa mère, il a pris le premier avion pour se rendre par la suite à Grant Pass. Il ne reçoit pour le moment qu'une maigre aide de sa mère, depuis que son père a coupé les ponts. Il a tout de même réintégrer la demeure familiale des Fitch-Clarke. Kalenh vient de décrocher un poste d'enseignant à Grant Pass. Au plus grand bonheur du voisinnage de revoir le petit blondinet de retour en ville, sans son père.

Et là vous vous demandez pourquoi il a quitté une vie de luxe. Il n'avait pas envie de travailler comme un vieux con pour amasser de l'argent. Il avait envie de pouvoir communiquer quelque chose, d'avoir un contact plus léger avec le monde, et pas par conférence interposée à des milliers de kilomètres avec des investisseurs riches à souhait. Il voulait vivre dans sa campagne d'herbe fraîche. Ce qui lui rappelait le goût, la douceur de l'enfance, de son adolescence. Il avait envie de s'échapper du monde et il l'a fait.