Une histoire brisée est une histoire brisée, même les morceaux recollés, les fissures sont toujours là.

C’est ainsi que je l’ai su. Vous savez, ce trou dans l’estomac, cette boule dans le ventre, cette sensation qui n’a de cesse de vous bouffer de l’intérieur. C’est comme ça que j’ai su que le bonheur n’était pas foutu d’être pour nous. Les entendre crier, les entendre gémir, l’entendre pleurer, l’entendre s’écrouler sur le sol. L’entendre la tuer. C’est comme ça que j’ai appris ce que c’était d’avoir mal. Je le vois encore, à travers le petit trou de la serrure entrain de lui donner ces coups fatals. Je savais qu’elle ne se relèverait plus et pourtant, je n’ai pas bougé. Une dernière fois, son regard s’est tourné vers moi, comme si elle savait que j’étais entrain de la regarder. Peut-être que les mères ressentent ça elles, elles sont capables de lire dans les pensées de leurs gosses sans les voir, sans les entendre. J’imagine que c’est la même chose quand on perd quelqu’un que l’on aimait plus que la vie, pour qui on aurait pu mourir ; on sent sa présence juste à côté de nous et il arrive même qu’on l’entende nous murmurer à l’oreille ce qu’il faudrait faire. Moi, je ne l’entends pas vous savez. Sa voix, elle a disparu. Je sais juste qu’elle se retrouve sous terre, qu’elle est entrain de disparaître chaque seconde qui passe. Et moi, vous savez, je crève aussi petit peu par petit peu. Comme elle.

Page déchirée, page délabrée, encre souillée par les larmes. Elizabeth n’était qu’une gamine comme les autres, pleines d’ambitions, de rêves que malheureusement, elle ne pourra jamais réaliser. La mort de sa mère l’a détruite. Souriante, pleine de vie, heureuse, elle a vite appris à vivre avec ce décès sur la conscience. Elle aurait aimé que sa mère ne la regarde jamais. Mais peut-être que lorsque tout va mal, quand le monde ne tourne plus rond, que les battements de nos cœurs ne sont plus que de résonances dans nos têtes et non pas des échappatoires, des preuves d’humanité ; peut-être que la seule solution est d’arrêter de s’infliger cette douleur. Elizabeth ne saura jamais ce que l’on a dit sur elle, que des centaines de fleurs et de bougies auront été déposé près de sa tombe, près de chez elle aussi où tous ces drames ont eu lieu. Elizabeth n’apprendra jamais à être une adulte, ne saura jamais si les mères sont capables d’entendre, de comprendre les pensées de leurs enfants. Dans le fond, Elizabeth ne saura jamais rien.

La vie ne s’arrête pas à une tragédie comme celle-ci n’est-ce pas ? La vie ne s’arrête jamais, elle continue son petit chemin comme si de rien n’était, comme si elle ne venait pas de prendre, d’un seul coup, sans rien demander, l’existence de quelqu’un. Le cas d’Elizabeth n’est pas un cas unique. Tous les jours, des gens perdent la vie, volontairement ou à cause d’une maladie ou juste parce qu’il était temps de s’en aller.