« Sérieusement, tu vas le faire ? » Dans un soucis de respect du suspens, Frannie patienta quelques secondes avant de relever la tête vers Joséphine. Elle afficha un visage des plus neutres possible avant de respirer intensément. « Il le faut Joey. Il le faut. » Elle hocha la tête, l’air décidé et fixa la table entre elles. Sur celle-ci était posé de nombreux bouquins qu’elles avaient vaguement potassés. « Il y a d’autres solutions, on peut rester ici toute la nuit et. » Fran s’était relevée pour poser un doigt sur les lèvres de sa camarade dans le but de la faire taire. « C’est la seule chose à faire Joey. » Elle reposa son postérieur sur sa chaise et observa sa copie devant elle. Sans savoir pourquoi, les deux jeunes femmes se complaisaient dans le mélodramatique et faisaient de leur vie une mauvaise sitcom. Tout était surjoué, elles respectaient les moments de suspens, les publicités quelques fois, étaient surement les seules à caser, la suite dans le prochaine épisode dans une conversation. Aujourd’hui n’était en aucun cas une exception. Frannie attrapa son portable et chercha la musique adaptée à la situation, appuya sur pause lorsqu’elle la trouva. Une musique classique inquiétante les enveloppa toutes deux tandis qu’elles fixaient le stylo de la rousse. « C’est l’heure Joey, il n’y a plus de temps. » Après un dernier coup d’œil autour d’elle, comme si elle vivait ses derniers instants, elle attrapa son stylo et écrivit quelques mots sur sa copie. « Et voila. » Elle posa dramatiquement le stylo à côté de la feuille et coupa la musique. « On y va ? » Leur moment terminé, tout redevenait normal, comme si rien ne s’était passé. C’était une complicité étrange qui s’était liée entre elles, quelque chose d’unique. « On est partie. » Elles rangèrent rapidement leurs affaires et quittèrent la bibliothèque en riant.

« Alors ? » Joey se glissa entre les élèves pressés de quitter la classe et appuya son épaule contre celle de Fran. Cette dernière leva sa copie vers elle et lui fit des yeux de chien battu, comme si elle allait pleurer d’un instant à l’autre. « Je crois qu’il m’aime bien. » Sur la copie qu’elle lui montrait, il y avait seulement trois phrases d’inscrites pour son dernier devoir de philosophie. La question posée, la recherche de la vérité peut-elle se passer du doute ? Celle que Fran avait-elle-même rédigée l’autre jour ; Mon chien a mangé ma première copie, si vous doutez, dites vous que ce n’est que le chemin vers la vérité. Et celle que son professeur avait ajouté ; Je vous ai mit F comme Frannie. C’est sans aucun doute la vérité.


« Bonjour. » La sonnette du salon de coiffure retentit et Frannie se tourna vers l’entrée puis béat quelques secondes sur la créature de rêve qui lui faisait face. « Bonjour. » Elle parvint enfin à récupérer sa voix, et sa dignité au bout de quelques secondes et plongea sous le comptoir comme si elle avait quelque chose à y faire. « Je me demandais si hum … » La jeune blonde semblait légèrement embêtée et pour ne pas plus la perturber, elle se releva et s’appuya nonchalamment sur le mur au bout du comptoir. Du moins elle essaya de rendre le tout nonchalant, au final cela ressemblait plus à une pieuvre qui essayait de tenir debout avec un tentacule appuyée contre le mur. « Oui ? » Elle l’encouragea à parler tout en essayant de ne pas se casser la figure, il fallait bien avouer que la posture coude contre le mur et main sur la tête était loin d’être pratique. « Et bien voila, je cherche du travail. » D’accord, ce n’était pas si compliqué que ça à demander au final. Tout de suite, Frannie se redressa et attrapa le registre. « Déposez ici votre cv et on vous appellera si nous avons besoin de quelqu’un. » Ce n’était pas son propre salon, même si elle était en charge la plupart du temps. « Justement, c’est là le problème. » Frannie s’était retournée pour aller chercher les serviettes dans la réserve et fit demi-tour pour confronter une nouvelle fois Blondie. « Vous n’avez pas de cv ? » Elle se mordilla la lèvre et regarda le sol pendant de longues secondes. « Je n’ai jamais travaillé et à la superette d’à côté, on m’a donné votre nom, on m’a dit que vous étiez plutôt sympa. » Frannie fanfaronna quelques secondes en affichant un grand sourire et acquiesçant de la tête avant de se reprendre. « Certes, je suis accommodante mais vous avez au moins déjà coupé les cheveux de quelqu’un ? » Elles étaient dans un salon de coiffure au final, pas dans un refuge de sdf. « Et bien … Non. » Elle baissa une nouvelle fois la tête, honteuse. Frannie cru entendre un léger hoquet, précurseur d’une bonne crise de larme en général. « J’ai vraiment besoin d’un travail. Je n’ai plus de logement, plus d’argent, plus rien. » Effectivement, la crise de larme arriva. Fran soupira mais s’approcha de la jeune femme pour la prendre dans ses bras. « Allez, ça va bien se passer. » Elle passa deux minutes à tapoter le dos de la jeune femme avant de se reculer. « Je vous prend à l’essai pendant deux semaines. Il y a un petit studio au dessus avec un canapé, vous n’avez qu’à dormir là en attendant de pouvoir vous offrir autre chose, Baby. » Elle ne savait pas son nom mais elle n’en avait pas besoin pour la surnommer.